La tuerie du 9 août 1944.

A 21 heures, le 9 août 1944, les habitants de Saint - Broingt - les Fosses entendent distinctement deux fortes détonations. Bientôt, une haute colonne de fumée s'élève de la tranchée située en face de la ferme de Suxy (pour son passé historique, cliquer ici). Les habitants du village, comprenant qu'il s'agit vraisemblablement d'un attentat sur la voie ferrée, ne s'alarment pas outre mesure.

Saint - Broingt - les - Fosses . La place et le jardin de Monsieur Regnier

A 21h15, Madame Marcel Perrin aperçoit des flammes s'élevant d'un bâtiment de la ferme. Rapidement, les habitants se réunissent vers le jardin de Monsieur Regnier, bon point de vue pour observer le sinistre. Le feu commence par les granges, puis se propage au pressoir, en contre - bas vers la chapelle, gagne le bâtiment à gauche de la maison d'habitation, puis celui de droite. Bientôt la demeure des fermiers est la proie des flammes.

 Le tocsin de la commune est sonné par le fils de Monsieur Regnier. Des pompiers partent en direction de la ferme. Les habitants entendent distinctement des coups de feu venant de la même direction que le sinistre. La peur les gagne, et craignant des représailles, ils ne se couchent pas, se tenant prêts à fuir. Pendant longtemps, les lueurs de l'incendie illuminent le ciel. Avec l'arrivée de la nuit, le calme s'installe sur la ferme de Suxy, réduite à quelques pans de murs noirs et sinistres émergeant des dernières volutes de fumées mêlées au brouillard matinal.

Que s'est -t - il donc passé ? Monsieur André Rigollot, instituteur à Saint - Broingt - les Fosses, étant allé de bon matin à Villegusien chez le frère du fermier (Paul Fourot), est en mesure, au retour, de rapporter ce qui suit.

Alors qu'un train (1) de parachutistes allemands, 150 SS (troupes de choc), montait la rampe dans la tranchée, un petit engin, placé contre un rail, explose, provoquant un léger déraillement. Aucun blessé. Seulement deux wagons quittent le rail.

Les soldats, enivrés par le cognac bu pendant le voyage, rendus furieux par l'attentat, se ruent sur la ferme en poussant des cris effrayants, tandis que d'autres se dirigent sur Prauthoy, en longeant la voie ferrée. (2)

A cette heure là, les ouvriers de la ferme rentrent des travaux des champs. Madame René Fourot, la patronne, est à la cuisine avec sa fille, sa petite-nièce Cécile, et Madame Hans, cuisinière. Monsieur René Fourot et son grand fils Robert sont à Villegusien.

A l'aide de grenades, des Allemands incendient le bâtiment situé à droite de l'habitation, arrêtent Madame Fourot, les enfants, et tous les hommes se trouvant dans la cour. Madame Fourot, qui a eu le temps de téléphoner à son mari et à Robert pour leur dire de ne pas revenir à la ferme, est invitée à sauver de la maison ce qu'elle a de plus précieux; un Allemand l'aide même à transporter des draps qui ne seront jamais retrouvés. Les deux valises, pleines de choses auxquelles elle tenait le plus, lui sont arrachées des mains dès sa sortie dans la cour, et disparaissent. Madame Fourot, Madame Hans, et les enfants, sont placés au pied d'un arbre près du pont qui traverse la voie ferrée, avec ordre de ne pas bouger. Bientôt le logement s'embrase.

Malgré le coup de téléphone, Monsieur René Fourot, inquiet sur le sort des siens, et de son personnel, revient à la ferme, à bicyclette.

Aussitôt arrivé sur les lieux, il demande qui a mis le feu; il est rapidement entouré d'une dizaine d'Allemands. Le fermier veut parler à leur chef.

La scène se déroule à l'angle droit du pont; un SS tire de sa botte un poignard, l'appuie sur la poitrine de Monsieur Fourot, voulant lui faire avouer qu'il est un chef terroriste. Monsieur Fourot ne peut avouer ce qu'il n'a jamais été; le poignard s'enfonce de plus en plus dans les chairs, et le malheureux est poussé sur le talus qui descend vers la voie. Là, il crie à sa femme "Adieu ma femme, adieu ma femme". Une rafale de mitraillette le blesse grièvement au cours de sa chute .

Monsieur Fourot, poignardé puis mitraillé (constatation faite plus tard par le Dr Jeanneret, accompagné du gendarme Rigonnot de Prauthoy) est tombé à droite du pont. Son corps a été retrouvé à gauche donc sa mort n'a pas été instantanée.

Madame Fourot, l'épouse, peut faire conduire les deux fillettes à Villegusien, grâce à l'intervention de Monsieur Kesseler de Saint - Broingt - les Fosses. Il ne sera pas possible de savoir quand les domestiques de la ferme furent tués. La nuit ? Le matin du 10 ? Sur les lieux régnait une grande confusion, les Allemands tirant des coups de feu au hasard et à tout instant. Les soldats ont arrêté une automobile venant de Chaumont, occupée par deux jeunes gens, et ordonné au chauffeur, après avoir fait descendre un passager, de conduire Madame Fourot et Madame Hans où elles voulaient,. Les deux femmes se sont réfugièes à Villegusien chez Monsieur Paul Fourot.

Le lendemain du drame, la Feldgendarmerie, la gendarmerie de Prauthoy, le capitaine de gendarmerie, le docteur Jeanneret médecin légiste, arrivent sur les lieux pour enquête et constatation. On retrouve deux domestiques tués dans la tranchée, non loin du corps de Monsieur Fourot, d'autres couchés pèle - mêle dans le fossé de la route, recouverts de fagots, et trois corps dans les bois de Montmusard, au - dessus de la ferme. Les Allemands auraient mis à ces malheureux, des brassards FFI et les auraient probablement photographiés ainsi.

Ni Monsieur Fourot, ni ses domestiques ne faisaient partie des FFI. Tous revenaient du travail,. Les habitants de la ferme, proche de la voie de Chemin de fer n'auraient pas été sots au point de saboter la ligne devant leur domicile.

Aux victimes de Suxy, il faut ajouter trois inconnus, certainement de passage. L'un de ces malheureux a eu l'annulaire gauche coupé, afin de faciliter le vol de son alliance.

Quant à Madame Fourot, elle n'a rien pu sauver de sa ferme, et est partie avec les chaussures et les habits qu'elle portait.

Dans les environs de la ferme, deux innocents ont été abattus : un ouvrier portugais, Manuel, demeurant dans une maison à la Sordelle, revenant de son travail, et un domestique de culture habitant la barrière de la Sordelle, Adrien Valroff, dont la femme et les trois enfants vinrent quelque temps habiter Saint - Broingt - les Fosses.

Parmi les Allemands descendus du train, quelques uns ont longé la ligne de chemin de fer en direction de Prauthoy et sont arrivés au village, les uns par le Cognelot, les autres par le chemin de la gare. En cours de route, ils ont abattu Monsieur Robert Gy ramenant son troupeau au village. Même le chien ne fut pas été épargné. Entendant les coups de feu, quelques habitants de Prauthoy, partis en direction de la ferme ayant voulu rebrousser chemin, ont rencontré les tueurs. Messieurs Roland Viard, cordonnier, père de quatre enfants, Prétet, père d'un enfant, Bechtold (collaborateur) ont été tués à coups de pistolet. Le jeune Jacques Gy reçut une balle qui lui traversa le cou (il survécut) et son frère Fernand fut seulement menacé mais épargné, par miracle, car il accompagnait les victimes.

Des Allemands se sont répandus dans Prauthoy, allant désarmer les gendarmes, terroriser le boucher, le pharmacien. Des meules de foin ont été incendiées non loin de la barrière du Cognelot. Sans l'intervention d'Allemands installés depuis quelques semaines à Prauthoy, et qui parlementèrent avec leurs camarades du train, Prauthoy aurait certainement été incendié, car du matériel pour cette besogne avait, soit disant, été apporté sur les lieux.

Suite à cet événement, le Commandant du train de Suxy voulut des otages : le Maire et 20 hommes, puis, changeant d'avis le lendemain des événements, le Maire et 10 hommes. Monsieur Pierre Mathey, Maire, accompagné de deux Allemands habitant le village alla se présenter au Commandant du train, lui disant qu'il n'amènerait jamais 10 hommes, lui laissant le soin de les choisir lui-même. La discussion dura longtemps vers ce train, mais enfin, grâce au courageux Maire, les affaires s'arrangèrent, et aucun otage ne fut demandé. A midi et demi, le train repartait en direction de Langres


  1. : Train (46)224, indice matricule 132429 jusqu'à Chalindrey et (15) 243 de Chalindrey à Neufchâteau, venu de Grenoble, par Lyon, Mâcon, Dijon.
  2. : Profitant d'un instant où la surveillance s'est relâchée, les mécaniciens de la locomotive remontèrent sur leur machine, décrochèrent, et filèrent sur Villegusien.

Voici comment l'événement fut relaté dans la Presse départementale en date du 12 août 1944, dans un article dicté par les Allemands et intitulé : L'armée allemande procède à des représailles. Sans commentaires.

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